Tirer au sort le nom d’un inconnu, pourtant célèbre, aux consonances également inconnues. Imaginer l’histoire du personnage. De quel destin est porteur ce nom… //

Khyentse Norbu*
7 avril 1994. Tu es née ce jour-là dans notre tribu Tutsi. C’était ce jour terrible où tous nos semblables un par un commencèrent à se faire massacrer par la folie Hutu. La panique s’est emparée de moi avec une puissance telle qu’elle t’a expulsée de mon corps en quelques minutes. Bien avant l’heure dite pour ton arrivée. Comme si déjà tu savais que pour me sauver, il fallait me libérer.
Autour de nous, les hommes couraient dans tous les sens, la démence était partout. Ils hurlaient. Et toi, tu es sortie, tu as ouvert grand les yeux, tu as lancé un tout petit cri, comme pour me dire « je suis là, je vis » et tu t’es tue. Tu as gesticulé pour me montrer ton énergie, peut-être aussi pour ajouter « Va-t’en, pars, enfuies toi, vis, un jour j’aurai besoin de toi ! ».
Tout de suite j’ai compris que tu serais la fille d’un grand destin. Un modèle pour un peuple qui aura choisi de se libérer de l’esclavage de la tradition. Ma fille, tu seras une femme belle et farouche, juste et digne. Les grands de ce monde te regarderont en levant les yeux vers toi, écrasés par ta force de vie.
Alors, dans le creux des racines de cet arbre millénaire, j’ai fait un berceau de ma couverture je t’ai posé là. J’ai mis autour de ta cheville ce bijou que je tenais de ma mère, un bijou unique que nous nous transmettons depuis des générations. Ce bijou propre à notre famille, car si un jour tu souhaitais me retrouver, ce bijou te raconterais notre histoire.
Et je suis partie. Je suis partie forte de ta puissance, je t’avais donné la vie. Tu t’en étais saisie. J’ai marché longtemps, longtemps. J’ai marché plusieurs décennies. Le monde a changé. Je suis perdue dans une grande ville glacée, affamée, sans famille, sans amour.
Et aujourd’hui, sur une grande affiche je t’ai vue. Un tout petit bijou autour du cou qui me disait « maman, où es-tu ? Je ‘attends. ».
Atelier d’écriture du samedi matin : Au fil des mots et des couleurs
*Khyentse Norbu, maintenant je sais qui vous êtes. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir publié ces quelques lignes. Première chose que j’ai apprise : Khyentse est un prénom masculin !
Pour tous ceux qui me lisent, Khyense Norbu, aussi appelé Dzongsar Jamyang Khyentse Rinpoché རྫོང་གསར་ འཇམ་དབྱངས་ མཁྱེན་བརྩེ་ རིན་པོ་ཆེ་ , est un lama, scénariste, réalisateur et écrivain bhoutanais.
En 1993, Khyentse Norbu fut conseiller technique de Bernardo Bertolucci pour son film Little Buddha . Par la suite, il a réalisé 2 films majeurs, La coupe (1999) et Voyageurs et magiciens (2003)Il est aussi l’auteur du livre N’est pas bouddhiste qui veut.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Khyentse_Norbu