Ce matin,

Bricabook 332
Atelier d’écriture Bricabook n°332 – © Артём Мякинник

Ce matin, elle a pris une profonde inspiration ; elle a glissé la photo dans son grand cabas vide. Et elle est partie.

Ce matin, elle a choisi soigneusement sa tenue, celle qu’il préférait, celle qui laisse deviner son corps long et souple mais ne dévoile rien.

Ce matin, elle a enfilé sa veste en tweed marron et enroulé son foulard vert autour de son cou. Ce foulard qui lui donnera la force d’avancer, dans lequel elle plongera son visage dans les moments de doute comme on se replie dans un refuge. Ce foulard qu’il détestait tant.

Ce matin, elle a laissé la porte grande ouverte derrière elle en partant ; elle a parcouru d’un pas décidé les quelques kilomètres qui la séparent de l’arrêt d’autocar. Pas pour se réchauffer dans ce matin humide et brumeux de ce début d’automne, non, plutôt pour inscrire l’empreinte de sa détermination dans le bitume. Comme un rempart. Elle ne reviendra plus.

Ce matin, elle regarde longuement une dernière fois ce passé qu’elle a tant aimé, qu’elle a tant pleuré, qui lui aussi ne reviendra plus.

Ce matin, elle attend l’autocar de cinq heures dix, le premier pas vers son ailleurs. Cet ailleurs vers lequel elle a enfin choisi de se diriger. Elle prend à nouveau une profonde respiration. Elle est bien.

Ce matin, elle sent derrière elle la chaleur des milles soleils de son futur. Ils éclairent sa route.

Elle ne sait pas ce que sera demain, il jaillit dans un halo lumineux.

Elle ne sait pas ce que sera demain, il déploie son champ magnétique.

Elle ne sait pas ce que sera demain, il irradie une énergie atomique.

Aujourd’hui, elle sort de sa dormance.

Aujourd’hui, elle savoure son histoire qui l’a conduite jusqu’à cet arrêt d’autocar.

Aujourd’hui, elle repart, forte de la puissance de son choix.