Tom parle

TOMTOM. Trois lettres. T, O, M. C’est un peu court pour exister.

Je suis né dans une famille ou l’on se fait oublier. Mon père est mineur, tous les jours ils disparaît au fond du trou. Il part tôt. Je ne le vois pas. Il part quand ma mère revient de son travail. Femme invisible, elle nettoie les bureaux la nuit. Je ne la vois pas. Elle dort quand je me lève. Mon monde intime est muet, le plus petit possible pour se faufiler sous terre, le plus discret possible pour ne déranger personne.

Dès que je mets un pied dehors, je suis écrasé par le bruit, bousculé par cette foule pressée qui m’ignore. Je suis petit, tout petit.  Mais j’ai de grands yeux. Et j’observe. Et je pense que j’ai compris. Pour exister, il suffit de parler.

J’ai vu des centaines de femmes s’évanouir sur mot lâché par un bellâtre à la terrasse d’un café.

J’ai vu des foules immenses s’agenouiller à la prière d’un abbé.

J’ai vu des armées entières se mobiliser sur le discours d’un illuminé.

Alors j’ai décidé de parler. Et je parle pour commencer chacune de mes journées, je ne peux plus m’en passer. A New-York j’ai volé un petit marchepied sur lequel désormais vous me trouvez perché. Je le trimbale partout, de la Fontaine-aux-Ânes à la Place Gambetta ou j’ai fait mes premiers pas, jusqu’au lieu où me mènent chaque jour mes discours.

Toutes mes journées ont la même figure, mais chacune prend une nouvelle tournure au fil du moment, au fil du temps.

Pendant longtemps je me suis entraîné avec Bérengère, la boulangère. Bonjour me disait-elle. Au bout d’un an, j’ai réussi à lui répondre bonjour sans trembler. Puis chaque jour j’ai rajouté un mot. Au bout d’une autre année, elle m’a supplié de m’en aller. Enfin j’existais. Depuis, mon obsession c’est d’exister dès le premier mot. J’attends avec patience celui ou celle qui dès le premier bonjour, me répondra « laissez-moi tranquille ! ».

Tous les jours, selon un rituel dont je ne peux plus me passer désormais, je commence ma journée place Gambetta. Perché sur mon petit marchepied, je dis bonjour. Celui qui me répond est mon premier compagnon du jour. Je descends du marchepied que je cale sous mon bras, et j’avance à ses côtés, lui exposant mon sujet « Parler, est-ce que cela suffit pour exister ? ». Et je parle, je parle, je parle, ne lui laissant pas le temps de souffler. Jusqu’à ce que dans un effort désespéré, il me laisse tomber d’un « je dois y aller» et s’engouffre sans se retourner dans la cinquième rame de métro qui vient d’arriver et menace déjà de s’en aller. De nouveau seul sur le quai, je remonte sur mon petit marchepied. « Bonjour Madame », « Bonjour » me répond-elle intriguée. Et me voilà repartit pour une nouvelle logorrhée. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Je suis épuisé mais ne peux plus m’en passer.

Les bonnes journées, on me dépose au Poste ou à Saint Anne dans le courant de la matinée. Seul dans ma cellule, plus personne à interpeler. Et là, enfin je peux me reposer. Et là, enfin je me sens bien.

 

Et la consigne était : Identifier des manies incongrues envahissantes. Puis vous tirez au sort un prénom et deux lieux proposés par les participants. Choisissez une manie, faites-la incarner par le personnage dont vous avez le prénom, dans les lieux tirés au sort (Faire un discours chaque fois que l’on me dit bonjour – Tom – Lieu dit Fontaine-aux-Anes, Place Gambetta)

 

Atelier d’écriture du samedi matin : Au fil des mots et des couleurs