Moment sacré du matin où il est encore permis d’espérer que c’est une belle journée qui est en train de démarrer. L’odeur du café mélangée au parfum sucré du soin paisiblement étalé sur ma peau dorée. Frissons. Le soleil joue avec les feuilles du tilleul doucement agitées par une timide brise de début d’été. Un éclat de lumière transperce mon œil à l’instant où quelqu’un sonne à ma porte. J’ouvre. Un homme se tient là. Je ne sais pas pourquoi. Je ne le connais pas. Il n’a encore rien dit mais déjà je me sens envahie d’une colère dévastatrice. Je voudrais claquer la porte, lui hurler de s’en aller. Sur-le-champ. Mais il ne m’a rien fait. Je ne sais pas qui il est. Pourtant la promesse de beauté d’un seul coup s’est envolée. J’ai la nausée. Il pue.
Chaque seconde qui passe gangrène un peu plus mon air. Plus de café. Plus de peau embaumée. L’odeur du matin. Celle que je voulais oublier. L’autre odeur du matin. Celle de la transpiration d’un corps usé auprès duquel je me suis trop longtemps réveillée, celle d’un corps gavé vomissant les abus de graisse et d’alcool, celle d’un corps qui toutes les nuits se rebellait, rejetant par tous ses pores les impuretés ingurgitées, polluant autour de lui, toxique et malfaisant. Ce corps dénué de cœur que je n’aimais plus. Ce corps qui me faisait horreur mais dont la tête m’emprisonnait encore. Ce corps qui m’envahissait et dont pourtant je n’osais m’éloigner. Ce corps qui, insidieusement me gangrenait par la simple exhalaison de son effluve viciée.
Il est là, cet homme devant moi, il pue. Il a suffi que j’ouvre cette porte pour qu’en un instant je sois terrassée alors qu’il m’avait fallu tant de courage pour enfin me purifier. Il pue la souffrance de mes années de résignation. Il pue mes bras baissés. Il pue ma voix emmurée. Il pue l’horreur d’une journée qui recommence. Il pue ma lâcheté. Qu’est-il venu me dire cet homme que je ne connais pas ? Je ne sais pas, il pue.
Et la consigne était : Parfum, odeur, fragrance. Au cours d’un déplacement, vous, le narrateur est happé saisi par une odeur. Laissez dérouler le fil de votre mémoire sensorielle, olfactive. Avancez sans savoir ce qui va pouvoir émerger de cette sensation même infime, puissamment évocatrice.
Atelier d’écriture du samedi matin : Au fil des mots et des couleurs