
Il s’appelle Sylvain, il est boucher. Boucher de père en fils depuis tellement de générations qu’il ne sait même pas dire par qui et quand ça a commencé.
Ce matin, en arrivant devant sa boutique, un énorme tag. « Et si c’était toi sur le tournebroche ? Signé : les amis des poulets ». Sylvain a senti la moutarde lui monter au nez. La moutarde de Dijon, celle bien puissante qui allume le feu dans les narines, celle dont on tartine généreusement la macreuse et la queue de bœuf mijotées des heures dans le pot-au-feu d’hiver.
Elle est tellement montée la moutarde, qu’il s’est mis à hurler, le cri sinistre de l’homme blessé. Un cri glaçant dans le petit matin. Le cri de l’homme perdu, abattu dans son sommeil par un funeste pinceau.
Pas seulement un homme, mais avec lui des générations entières portées par leur dévotion à l’Animal. Et de tous les couples de l’arche, Sylvain, le dernier de la lignée, a une véritable vénération pour Coq et Poule. Jamais il n’a observé descendance plus aimable, plus adorable que le poulet.
L’élégance de la girafe ou celle du hérisson, la puissance du tigre ou celle du battement d’aile du colibri, toute la beauté des plumes du paon et la terreur mortifère qu’inspire la mygale ne sont rien face à la désarmante simplicité du poulet. Qu’il devienne papa Coq ou maman Poule, nul autre que ce petit être en devenir ne porte aussi fort en lui la promesse d’une vie paisible et douce, ou chacun occupe aussi justement la place qui lui revient, cherchant la compagnie de ses pairs, se délectant des caresses et câlins que chacun, attentif et empathique, offre à ses semblables. Rien à prouver. Juste être et accomplir son destin.
C’est ce qu’il pense Sylvain, perdu dans la jouissance du souvenir de la contemplation du poulet. Ils sont pareils tous les deux. Pas besoin de grand-chose. Point de jalousie ni de conspiration. Se rappeler d’où l’on vient. Et vivre heureux.
C’est pourquoi ce matin Sylvain est touché. Intimement. Mortellement. S’il n’éprouvait pas autant de passion pour le poulet sauraient-ils ensemble composer d’aussi suaves partitions ? C’est certain que non, bande de petits cons ! Ce « bande petits cons » il le brame dix, quinze, vingt fois, peut-être plus encore dans un souffle unique plus dévastateur que celui de l’ouragan. Puis soudain, il s’arrête et laisse s’abattre le silence. Pendant une minute plus longue que la mort, plus un son dans le petit matin endormi. Enfin, lentement, il se baisse, attrape l’anneau sur le fil du trottoir, et en prenant grand soin de finir de faire trembler tout le quartier pour la première fois de toute sa vie de boucher, Sylvain lève le rideau de fer et rentre dans sa boutique. Il est 5h. Il allume toutes les lumières, il sort les grandes poubelles de l’arrière-boutique. Il dépend de leur crochet les belles carcasses, vide les vitrines des alléchantes bavettes, langues hampes, macreuses, cotes et entrecôtes, queues et autres dindes, pintades, pigeons, oies, cailles et caillettes pour en remplir les grandes poubelles. Pui il retire de son fourreau son plus beau couteau, celui qui fait la fierté de sa lignée et file à la maternité des marguerites. Son camion frigorifique stationné, il s’engouffre dans les couleurs aseptisés. Ah, comme il les hait ces braillards affamés. Puisqu’il est dit qu’il faut détester pour déguster, c’est fait, il va se régaler. Direction la pouponnière. Ils sont dix, vingt, trente, tous plus repoussants ; elles sont cinq, affairées, allaitantes, bêtifiantes devant leurs génies en devenir.
La lame est affutée, ffft, ffft ffft. La récolte est bonne, Quelques allées retour au camion. Retour à la boutique. Pas une minute à perdre. Commencer par éviscérer et dépoiler, un coup de chalumeau sur les cranes duveteux, découper, trancher, effiler, hacher, saler, poivrer, embrocher. C’est parti pour du rôti de cuisses orloff, un bourguignon d’avant-bras, de la tête de nourrisson ravigote, du ragout d’orteil, de la cervelle d’accouchée aux câpres. Il faut détester pour apprécier ? Humains, je vous déteste, dégustez-vous !
8h. La boucherie des Passions – 5 rue de la Butte – ouvre ses portes. Sylvain, rayonnant, attend le chaland.
« oyé, oyé les amis du poulet, je vous attends.
Je suis boucher et j’en suis fier.
Regardez-vous, mais regardez-vous avec votre bouche en cul-de-poule osant à peine caqueter de peur de troubler le vol du moustique. Vous pourriez lui briser l’aile avec votre souffle. Mieux vaut qu’il vous suce le sang ; ça vous occupera les mains d’arracher votre peau brulante sous leur piqure et ce sera bien plus tuile que de venir barbouiller ma vitrine. Bande de poules mouillées, vous préférez répandre vos chiures nauséabondes quand les honnêtes gens se reposent pour mieux vous servir à longueur de journées harassantes ?
Cocoricooo ! Cocoricooo ! Vous vous égosillez à la mort de chaque fermier, de chaque boucher, de chaque tripier, fiers sur vos tas de fumier.
Vous vous pavanez, poules bien maquillées, coqs chefs de basse-cour. Et si moi dans le poulailler je m’amusais à retirer les vers de votre bec ? SI je vous coupais les mots et vous clouais le bec ? A poil vous seriez, triste situation pour des emplumés. »
Et la proposition était : « Un métier + un bug = une beuglante ».
1- Choisir un métier et confronter son praticien à une situation inattendue : bug, imprévu, retard, contretemps, blocage, quiproquo, malentendu, contrariété, incident, accident, délai non tenu, grain de sable, couille dans le potage… qui vient déranger, contrarier, compromettre, faire gripper, foirer un projet, un rêve, une histoire, une action … Furieux, votre personnage pousse « une beuglante », un énorme coup de gueule. A vous de jouer et de l’écrire !
2- La colère sort ! Reprendre son texte ou choisir celui d’un autre, et rentrer dans la colère qui a semblé difficile à exprimer.