8 avril 2021 – Captivée

Captivée. Enveloppée dans une bulle hermétique, ne voir que ça, n’entendre que ça. La bouche légèrement entrouverte, le regard fixe, osant à peine cligner des yeux pour ne rien perdre du spectacle troublant, l’oreille attentive, reliée au cerveau et décoder dans toutes leurs intentions les modulations du son qui s’écoule. Le corps tendu, qui fait mal, qui a froid, mais qui ne s’en rendra compte que plus tard, quand tout sera fini.

Etre bien. Toucher la grâce. Au travers du bec de l’oiseau qui pique l’insecte et lentement le gobe.

Toucher la grâce. Dans la patte espiègle du chat qui taquine la souris, la tourne, la retourne, laisse un instant s’échapper la bête terrorisée et aussitôt l’arrête dans sa fuite en écrasant sa longue queue. Puis la croque et la recrache, une fois, deux fois, trois fois avant de l’avaler, tête la première, cette fameuse longue queue pour la bonne bouche long spaghetti et sa longue trainée rouge sang au coin des babines. Entendre les os craquer, les dents claquer, se délecter avec le prédateur, partir dans un râle avec le rongeur.

Revenir à mon présent, sentir la goutte de sueur couler le long de ma colonne vertébrale, être secouée d’un frisson glacé, découvrir mes membres endoloris comme après le combat entre les pattes du chat, sentir au fond de ma gorge le vers qui s’entortille.

Le chat est dans l’arbre. Je ne l’ai pas vu monter. L’oiseau le regarde et gazouille. A trois branches du félin, prudemment, l’œil moqueur. Le fauve miaule désespérément. Il ne sait plus descendre. La vengeance du volatile pour ses amis rongeurs. Criaillerie versus symphonie.

Ainsi va cette vie. Demain je n’oserai pas m’arrêter sur cet homme allongé dans le couloir du métro, enfoui sous une couverture motif girafe. Et pourtant, si je lui laissais le temps de me faire découvrir sa vie de chat, sa vie d’oiseau, sa vie de rat, je découvrirais sans doute celle avec qui il voulait s’élever, si haut, captivé.

Confinement numéro trois, dans l’intimité de nos états

Epanouie – Grognon