
C’est l’histoire d’un pari complètement stupide, une soirée un peu arrosée avec ta meilleure copine. Tu es célibataire, elle aussi. Et finalement vous vous dites « mais pourquoi ? ». Tu te rends compte que tu ne fais vraiment rien pour changer les choses. Elle non plus. Et là, tu lances le défi :« Et si nous passions une nuit avec un inconnu dans sa chambre d’hôtel ? Cap ou pas cap ? ». « Cap ! ». Nous nous tapons dans la main, c’est parti. Nous fixons les règles : rendez-vous mardi 15 mars dans le lobby du Mandarin Oriental à 17h. L’une désignera à l’autre sa cible, en tenant compte de ce qu’elle imagine le plus juste pour elle, et après carte blanche pour remplir la mission. Rendez-vous au petit déjeuner le lendemain pour raconter l’histoire.
C’est dans quelques jours. La griserie est passée mais le pari est toujours bien là. Tu te dis que ton amie va craquer et t’appeler pour annuler l’idée. Mais non. Rien. Et l’heure tourne. Tu t’aventures à essayer d’imaginer la situation, un peu inquiète et perplexe. Et puis tant pis quel est le risque après tout ? Il est nul. Tu préviendras ton pote Vincent et tu lui enverras des messages toutes les heures. Si tu ressens que ça commence à sentir le roussi, tu l’alertes et il déboule.
Tu te laisses peu à peu glisser dans la fantaisie de cette idée saugrenue. Tu tournes et retournes dans ta tête toutes les scénarii possibles pour rentrer en contact avec celui qui t’aura été désigné. Ça finit par devenir vraiment excitant. Les jours filent, l’heure de la rencontre fatidique approche.
Mardi 15 mars, 14h. Epilation, nettoyage de peau, manucure parfaite pieds et mains effectués ce matin. Massage intégral en ce début d’après-midi, ton corps est prêt. Détendu. Souple. 15h, passage au maquillage, discret et lumineux. Poudre minérale translucide pour le teint, un brin ambré. Pour les yeux, un trait de crayon khôl au ras des cils, souligner le regard sans l’alourdir. Et la bouche ? C’est important la bouche. Un rouge orangé ou un corail plutôt aux pigments dorés et précieux. Pour donner du volume aux lèvres et bonne mine au visage. Une brume de parfum, présente mais légère. Une jupe soulignant le mouvement. Un pull fin, un décolleté laissant apparaître le grain de beauté sur le haut du sein gauche. Quelle bonne idée ce pari. Tu ne t’étais pas faite autant de bien depuis si longtemps.
Tu chausses tes escarpins à petits talons, ils soulignent ton pied fin tout en étant aussi chics pour faire la fête que confortables pour gambader toute la journée. Tu passes ton collier vénitien et pares ton annulaire droit d’une discrète émeraude. Tu enfiles ta veste saharienne ; il fait beau ce 15 mars, tu as de la chance. Et tu pars. Tu es en avance, tu décides de marcher le long de la Seine. Tu prends de profonds respiration. Tu sens l’impatience monter en toi. Un sourire se colle sur ton visage. Les passants se retournent étonnés. Tu chantes maintenant ou plutôt tu fredonnes « je m’baladais sur l’avenue le cœur ouvert à l’inconnu… ». Te voilà arrivée. Tu retrouves ton amie dans le hall majestueux de l’hôtel. Elle est dans dans le même état que toi. Sans avoir besoin d’en parler tu le sais, tu le sens. Elle rayonne. Nous pourrions tomber amoureuse l’une de l’autre.
Nous nous installons. Nous choisissons avec soin notre place pour surveiller du coin de l’oeil les allées et venues à la réception. Repérer un homme seul. Repérer un homme d’affaires en déplacement professionnel. Ou un poète. Ou un oisif à la recherche du temps qui passe. Nous gloussons comme des collégiennes. Cible une repérée : tu lui désignes son objectif. Elle ne tarde pas à t’indiquer le tien. Un homme grand, regard clair et doux, chevelure poivre et sel, costume impeccable. Pas de cravate. Tant mieux, tu n’aimes pas cet attribut. Un nez un peu de travers. Tiens, pourquoi ? Nous nous disons au revoir, un brin troublées et nous partons à la rencontre de celui qui va devenir notre compagnon d’un soir. Tu sens que tu trembles. Tu t’accroches à ton téléphone enfoui dans la poche de ta saharienne. Toutes les stratégies que tu as élaborées ces derniers jours se sont évaporées. Tu devines le regard de ton amie posé sur toi. Renoncerait-elle ? Tu te retournes. Tu hésites, elle aussi. Tu la regardes dans le blanc des yeux. Tu y puises la pointe d’audace et de défi qu’il te manquait. Et tu continues d’avancer, ta tête revenue dans l’axe de ton but, le regard désormais bien assuré.
Tu n’es plus qu’à quelques enjambées de lui. Il te regarde avancer et comprend soudain que tu fonds sur lui.