Café

Qu’est-ce qu’elle aimait l’odeur du café. S’il y a une chose qui la motivait à mettre un premier pied par terre le matin, c’était bien la perspective de l’odeur du café. Elle se levait, courait presque jusqu’à sa vieille cafetière filtre, la même que celle de sa mère, quarante ans plus tôt, et regardait le liquide couler en se penchant sur la vapeur parfumée. Elle s’emplissait les poumons avant de filer sous la douche, une tasse fumante à la main, qui embaumait la minuscule salle de bain.

Une fois ce rituel terminé, la perspective de la journée la plongeait dans une torpeur maussade. Jusqu’au jour où elle se décida à rejoindre son bureau à pied, ne supportant plus l’atmosphère pestilentielle du métro, dont elle ressortait nauséeuse à en devenir suicidaire.

Au fil de ses trajets, elle construisit un itinéraire jusqu’à son entreprise, qui d’enjambées en enjambées, la menait d’un effluve de troquet à l’autre lui offrant une escapade olfactive qui paraissait ne jamais devoir finir. Elle finit par pouvoir décrire chaque particularité de chacune des terrasses de son parcours parisien. Une acidité toute végétale ici, une amertume d’immaturité là, un bouquet fleuri dans cet autre, une raideur toute militaire à cet angle de rue. Quand un parfum la surprenait, elle s’arrêtait, prenait plusieurs longues inspirations. Parfois la tête lui tournait (une fois elle alla même jusqu’à s’évanouir à force de ventilations). Et immanquablement, elle devinait l’élément perturbateur et, l’esprit apaisé, pouvait poursuivre son chemin.

Elle arrivait chaque jour un peu plus tard. Personne ne semblait s’en émouvoir. Elle-même ne semblait pas s’en apercevoir. Ce mardi 4 mai, alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres de sa destination, elle fut soudain stoppée, incapable de faire un pas de plus. Elle atteignait son petit noir préféré et depuis quelques centaines de mètres, son excitation montait, montait. Presque l’orgasme. Et ce mardi, devant la terrasse tant espérée, c’est une vague puissante de friture qui envahit ses narines. Il était midi trente, les clients commençaient à s’installer pour se gaver de patates graisseuses. A cet instant, elle se figea. Où était passée sa matinée ? Où étaient passées toutes ses matinées ? Envolées dans des volutes caféinées ?

Elle s’assit sur le rebord du trottoir et se mit à pleurer. Les piétons intrigués lui jetaient un regard étonné, vaguement inquiet, et détournaient la tête. Les clients du café se mirent à chuchoter en la regardant fixement, les voitures ralentissaient ou klaxonnaient. Et elle, elle pleurait. Elle n’était plus rien qu’un nez à l’affût d’une odeur de café. Elle avait même oublié pourquoi c’était arrivé, ce qu’elle ne voulait plus ni voir, ni entendre, ni imaginer, ni ressentir. Elle avait oublié ce qu’elle cherchait à oublier. Elle avait disparu, partie en fumée avec l’odeur de son café. Cette odeur qui ne l’avait pas réveillée.

Consigne : Raconter une addiction