
Une fois encore, elle ressentit cette terrible sensation de n’être rien. Rien d’autre qu’un électron insignifiant parmi d’autres milliards d’électrons. Bringuebalée d’un côté et de l’autre au rythme des rafales de vent. C’était le samedi, le quatrième jour de leur voyage, face à cette cascade annoncée comme ayant le plus fort débit d’Europe.
Mais était-ce vraiment le quatrième jour ou la semaine suivante ? Tout est tellement confus. Cette sensation est si présente. Omniprésente devrait-elle dire. Elle finit par tout mélanger : c’était la cascade la plus puissante ou celle officiellement découverte la première dans ce pays rude et secret d’Islande ? Là encore, impossible d’affirmer quoi que ce soit. Pourquoi toujours ce doute ? Sa vie est-elle si monochrome que rien n’émerge dans le tout ? Elle a pourtant chaque jour la sensation de nouvelles conquêtes. Puis tout se mélange, tout se brouille Tout se dissout dans le tout comme les couleurs sur la palette du peintre en fin d’après-midi après une longue journée de lumière. Il ne reste que le gris uniforme. Est-elle vraiment allée jusqu’au pied de cette cascade ? A-t-elle ressenti les fines gouttelettes de brumes rafraichir son visage empourpré par l’effort de l’approche ? A-t-elle tremblé à l’unisson du rocher ébranlé par la puissance du débit ? A-t-elle pleuré face à la douceur de l’arc en ciel heureux de recevoir le rayon se faufilant entre les nuages chargés de pluie ? Elle croit se rappeler la caresse de l’herbe verte et drue sur ses mollets musclés, le sifflement du vent dans le sentier étroit et le bruissement des arbustes de la toundra, mais dans le regard ébahi de ses petits-enfants écoutant sagement l’histoire de ce grand voyage, elle s’interroge. « Était-ce bien moi, seule, sac au dos, dans ces étendues infinies ? Ou était-ce le héros de je ne sais plus quel roman ? Est-ce vraiment ma vie ? Ou est-ce celle que j’aurais tant aimé habiter ? ».
Elle reprend le fil de son histoire et l’achève. Elle se sentait si petite face à cette cascade immense. Était-ce vraiment face à cette cascade ? Ou était-ce face à cet employeur pour lequel elle a travaillé si longtemps ? Elle était son assistante. Non, pas son assistante, son adjointe. Pourquoi avoir employé ce mot d’assistante ? Peu importe. Elle était petite, toute petite au point de disparaitre, comme elle aurait pu disparaitre dans cette cascade emportée par une bourrasque. L’a-t-elle jamais vue cette cascade ? Peut-être pas. Mais la puissance qui écrase tout et vous fait douter de tout, y compris de la bienséance de votre existence, cette puissance-là, elle en est certaine, elle l’a souvent rencontrée.
La proposition : Votre personnage n’en finit plus de douter.

« Le doute est un hommage rendu à l’espoir » mais je doute de me rappeler du nom de son auteur. Ce petit texte est bien libre, et bien culotté.
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