
– Tu écris sur quoi ? Quel logiciel si ordinateur ?
J’écris avec ma tête et mon cœur. Ou l’inverse, avec mon cœur et ma tête. Ou les deux en même temps. Quel tintamarre. Difficile d’arbitrer qui l’emporte sur l’autre. Je prends le mot qui passe ou la question qui émerge et tous les deux courent derrière. Ça tourne, ça tourne dans ma tête, dans mon corps. J’essaie de l’attraper, ou plutôt de le ou la saisir, comme un photographe, sous toutes ses lumières. Pas évident, elles changent continuellement, ces lumières. Imperceptiblement ou violemment, selon les bonnes ou les mauvaises rencontres, franches et énergisantes, ou insidieuses et malsaines. Je ne m’en rends pas toujours compte immédiatement, et tout d’un coup je sens que je suis envahie par une immense colère ou bien c’est la joie qui fait en un éclair danser mes jambes. Ça tourne, ça tourne encore, les mots, les phrases s’enchainent dans mon cerveau, il y a urgence. Je lâche tout pour prendre mon stylo ou je dicte en plein milieu de la nuit une phrase à mon téléphone, qui en fidèle ami me la restituera au petit matin, le plus souvent incompréhensible, perdue comme une feuille morte au milieu du désert. Quelle frustration ! A quoi bon cette insomnie ? Mais aussi quel bonheur de m’asseoir enfin et de prendre mon stylo pour replonger dans ma transe nocturne, remonter le temps jusqu’à l’instant de l’imagination en tension, remonter le chemin qui m’a ouvert la porte de cette phrase sans queue ni tête et découvrir à nouveau l’émotion de son inspiration.
Sur mon cahier s’inscrit alors la trace de mes pensées. Comme la bave de l’escargot attache le gastéropode à son parcours, chaque mot formé attache l’émotion, l’ancre solidement et me permet d’aller au mot suivant. Quelle que soit l’aridité du sujet, j’avance. Rien ne peut effacer la trace. Pas un clic malheureux, par une impulsion rageuse qui me ferait tout supprimer. Je pourrais arracher les pages du cahier, c’est vrai, les mettre en boule et viser la poubelle que je raterai bien sûr. Mais à quoi bon. Autant les garder en attendant mieux. L’écrit est produit. Il existe. Il est là. Il est né. Dans le silence. C’est important le silence pour laisser oser ce qui tente de venir. Même le tictac de la pendule perturbe mes logiciels internes. Ils sont multiples et encore assez jeunes, brouillons, désordonnés, pas encore assez mature pour résister aux tentations sonores. Pas de musique, ou rarement, pour une exploration particulière. Pas de clang clang de clavier comme autant de coups de marteaux pour effrayer le pas timide du mot qui se dévoile. Le clavier ? C’est le mari violent qui bat sa femme pour lui arracher son « je t’aime » là où le stylo est la caresse de l’aimant qui glisse jusqu’à trouver son point A et se laisse aller au sanglot de l’infini tendresse qui l’envahit.
Un temps plus tard, mais seulement plus tard, ce sera le temps de prendre le clavier pour retranscrire l’histoire, la revisiter, l’embellir, la noircir, l’endurcir ou l’adoucir. La lustrer, changer un mot, corriger une faute, ajouter un détail, supprimer un trop dit. Ouvrir un nouveau fichier Word, enregistrer sous la date du jour et la portée de l’histoire. Donner un nom à l’histoire, c’est très important. Taper au kilomètre, aller à la ligne. Couper et fusionner les paragraphes. Ne pas oublier le léger retrait en première ligne de chacun d’eux pour faire comme si ; comme si j’allais être éditée. Comme si j’étais déjà une écrivaine.
Relire et relire, encore changer ce mot, chercher le synonyme le plus juste, plus puissant encore que l’original. Se plonger dans le centre national des ressources textuelles et lexicales. S’y perdre deux heures. Revenir au texte, changer encore. Accepter que le premier jet n’était pas le meilleur mais lui être reconnaissant d’avoir ouvert la voie.
Fermer le fichier. Le laisser dormir quelques temps dans mon disque dur. Ou le publier ici tout de suite. Et le relire à nouveau, de longs mois après, une fois que j’ai totalement oublié qu’il a pu exister. Et le ressentir comme une première fois. A nouveau.
J’écris sur quoi ? Chacun sa méthode après tout !
😍🥰🤩 je viens de lire, bonne nuit je t’embrasse
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Merci 😍
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La tuyauterie intestinale qui se fout du temps. Il faut éjecter l’immobile pour fabriquer le vent. Est-ce la métaphore d’un filet amniotique nous liant par la pensée commune ? Je suis allé voire hier « mon pays imaginaire » (révolte chilienne 2019), j’ai regardé cette semaine la progression du travail de P. Soulage et puis j’ai écouté B. Latour, pour entrevoir sa lumière. Nous sommes de la lumière, alors vive les étincelles !
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