Paulette

La campagne était belle en hiver. Il se souvenait de ces longues matinées froides dans la cuisine de sa Paulette adorée. Elle s’activait autour de la grande table en bois massif qu’elle avait encombrée de faisans, de vin, de lard gras, de farine, d’œufs, de marrons ; ces marrons que nous avions passé des heures à ramasser dans ces immenses forêts dorées de Corrèze.

La Corrèze à l’automne, il ne pouvait s’empêcher de frissonner en fermant les yeux laissant défiler sous ses paupières le jaune et le orange des feuilles des châtaigniers, le toujours vert des sapins, le déjà marron des chênes. Il entendait le craquement des branches et les hurlements de la fratrie découvrant un cèpe enfoui sous les feuilles déjà amassées au pied des troncs centenaires.

Tout ça c’était terminé. Paulette est morte. Le 15 janvier 2012. Arrêt cardiaque. Les gendarmes l’ont retrouvée le lendemain à 18h15. Alertés par les voisins. Elle n’avait pas sorti sa poubelle comme tous les mardis leur ont confié les voisins. Ça nous a étonné. C’est pour ça qu’on a appelé. Le rapport des gendarmes a signalé la présence de farine au sol et un balai usé à quelques mètres du corps. Elle s’était sans aucun doute lancée dans le nettoyage de sa cuisine. Une chaise retournée gisait également sur le sol. Elle avait essayé de se rattraper en tombant. Le choc avait été violent. Le sang autour de son crâne et les gouttes qui maculaient les murs en attestaient.

Chère Paulette,
C’est submergé d’une immense tristesse que je t’écris ces derniers mots. Tu es partie sans que je n’ai eu l’occasion de partager avec toi ce que je retiens en moi depuis tant et tant d’années. Je t’observais depuis que nous étions enfants courir sur les sentiers, courir à travers bois. Je courais derrière toi, mais jamais je ne te rattrapais. Quand je venais, tu étais sur le point de partir. Quand j’étais occupé, tu venais me solliciter pour une poutre à déplacer, une vache à soigner. Mais je ne pouvais pas t’aider.
Chère Paulette, avec toi j’ai appris le contretemps. Toujours en décalage. Tes envies rencontraient mes découragements, mes espoirs tes accueils lapidaires.

Avec toi j’ai appris
à me contenter de ce qui est
Auprès de toi j’ai compris
que la vie nous traverse
que nos chemins sont à nous
que les croisements
sont un hasard
Ces hasards ne sont pas des signes
d’un futur espéré
ils sont la beauté de l’instant
ils sont la jouissance à saisir
du bout des doigts
du bout des lèvres
à plein cœur
Puis à laisser partir
sans compter sur un revenir
Chère Paulette,
Te voilà froide dans cette tombe
J’irai y jeter une poignée de farine
une poignée de sel aussi
peut-être quelques œufs
sans doute une buche fumante
Que le festin que tu m’as offert
t’accompagne vers l’au-delà
Que tu régales les Dieux
qui auront le privilège
de te recevoir dans leur bras.
Tu les consoleras
de leur éternité
tu leur raconteras
notre éternelle amitié.