Discours 28 novembre 2024 – Chevalière de l’Ordre National du Mérite

Je tiens tout d’abord à exprimer ma profonde gratitude pour cet honneur qui m’est fait aujourd’hui. Merci à Bruno Lemaire, en tant que Ministre de l’Économie, pour ce geste qui me donne encore plus d’élan pour continuer à servir.

Merci au CIC, et surtout, merci à toi Laurent et à Daniel Baal, Président du Groupe Crédit Mutuel, qui avez accepté avec enthousiasme d’accueillir cette cérémonie dans ce lieu magnifique où Napoléon et Joséphine nous ont précédés. Ton oui immédiat a été pour moi un renouvellement de ta confiance et de celle du CIC, confiance qui m’honore, de ta part et de celles et ceux qui t’ont précédés dans cette belle maison depuis 15 ans. Un partenaire dont toutes les associations rêvent, une collaboration qui ne cesse de grandir depuis 15 ans, une relation rare, quel que soit l’interlocuteur, un échange d’égal à égal, un respect mutuel.

Merci Dominique de me faire l’honneur de me remettre cette insigne qui m’honore même si comme tu le sais, il a commencé par me laisser perplexe.

 (tournée vers la salle) Tu sais, depuis toute petite, je me demande pourquoi à l’église, l’assemblée ne prie que pour les gens qui vont mal. Alors que nous avons tant besoin de ceux qui vont bien pour nous aider à aller mieux. Aujourd’hui je sais pourquoi.

Pas une journée sans que de près ou de loin nous soyons touchés par une mauvaise nouvelle ou plutôt une nouvelle dont notre humanité n’est pas digne. Des catastrophes climatiques aux guerres, des féminicides au harcèlement dans les cours d’écoles, d’un attentat à une personne âgée retrouvée plusieurs jours après sa mort… quel genre d’humains sommes-nous pour générer de telles souffrances et comment pouvons-nous les regarder sans rien dire, sans rien faire ?

Pour ma part, je ne peux pas, je suis faite comme ça. J’ai toujours eu cette conviction : je me ferai ma place mais pas dans ce monde dysfonctionnel mais dans le prochain que je participerai à inventer.

Ce qui peut paraître beau, grand, généreux, n’est, je pense, que le fruit du hasard, de la composition des gènes qui m’a faite comme je suis. C’est un immense merci que j’adresse à ma maman, qui j’espère s’autorisera à être fière ce soir, ma maman qui m’a montré l’exemple d’une vie de courage et d’attention à son prochain.

Scout toujours prête, ma devise pendant tellement d’année : chef de sizaine, chef de patrouille, concours l’Express, des fêtes, du chant, des grandes conversations (c’est important la conversation), l’école de commerce à Toulouse, présidente du club de théâtre, du journal de l’école, et secrétaire générale de la cave, notre palais des fêtes, jamais le sentiment de travailler mais toujours agir. J’ai exploré mille chemins. Jamais les bras ballants, il y a tant à faire de merveilleux dans ce monde. Tu es d’accord, n’est-ce pas ? Tu m’en as parlé l’autre jour en me montrant cette photo dans le journal local qui me félicitait de mon prix pour mon reportage sur la faim dans le monde en terminale.

Toujours des questions : comment, à la fin du XXème siècle, peut-on encore être en guerre ? Avoir des sans-abris dans nos rues ? Etre malheureux au point de vouloir en finir ? Pourquoi certains ont de la chance et pas d’autres ?  Et celles que tu m’as susurrées à l’oreille : pourquoi les femmes moins que les hommes ? C’est quoi un garçon manqué si ce n’est une fille réussie ?

Paris me voilà ! Ensemble, nous allons faire de grandes choses. Emily in Paris, j’ai atteint mon but, un job pour agir avec d’autres. Je débarque dans une petite agence de pub qui monte, mon rêve. Et tu sais quoi ? personne ne m’attend ! Dégringolade. Je rêvais d’un monde qui n’existe pas. Je m’évade… en Inde. Comment continuer à vivre après être passée dans les rues de Delhi ? Je plonge dans la dépression.

Entrer dans la vie d’adulte, finalement, c’est comme créer une boite. Monter le projet c’est facile, les ennuis commencent une fois qu’on est lancé. Pour moi, la liberté, c’était la vie d’adulte. Je n’avais pas imaginé que c’était là que commençait le chemin. Heureusement, dans ce premier passage abrupt, tous les mardis soir je pouvais venir faire une pause chez toi. Et tu m’écoutais, malgré tes soucis. C’est l’époque ou De Caunes nous répétait chaque matin dans le poste : ça va péter dans le golfe. Et ça a fini par péter. L’économie a pris une grosse gifle et moi avec. Licenciement économique. 

C’est l’occasion de changer de voie, la voie pour enfin prendre soin. Je me forme à la psychologie du travail. Ça pourrait répondre à mon besoin d’être utile. Whaou, la psycho du travail : un gigantesque damier où l’on met des groupes d’individus dans des cases et on modélise. Fausse route. 12 longs mois de chômage plus tard, j’échoue dans un groupe de restauration. Ma mission : nous faire tous manger davantage. Pas vraiment ma vocation mais pas vraiment le choix. En revanche, de magnifiques leçons de vie avec des femmes et des hommes qui ne me ressemblent pas. Nous apprenons à nous apprivoiser et à nous aimer.

5 jobs, 5 secteurs d’activité en 10 ans, je pars dès que je commence à m’ennuyer.

Parallèlement, je pose les bases de ma vie personnelle. Là aussi, pas si simple. Comment ne pas reproduire le schéma familial où les hommes sont absents, mutiques, ou faibles. La barre est haute et ma confiance en moi très basse. Bravo à celui qui a fait craquer ma carapace. Notre bout de chemin côte à côte m’a fait grandir et beaucoup réfléchir. Comment aimer ce que l’on a au lieu de désirer sans arrêt autre chose ? Nos 3 enfants ne sont-ils pas merveilleux ?

Leur éducation ? Encore de quoi me poser bien des questions. Comment faire pour qu’ils s’en posent moins que moi ! Ma conviction : leur donner une place, très tôt, dans le vrai monde. Pas de surprotection. Participer, respecter, accepter d’apprendre, grandir en autonomie à chaque occasion. Quel que soit ton âge, tu contribues. Même si ça te sort de ton confort. Un jour l’un deux m’a dit : Maman, arrête de penser toujours aux autres, pense un peu à toi. Ça m’a fait réfléchir.

Directeur marketing, ça claque sur mon CV mais je ne me sens toujours pas à ma place, Le salariat n’est pas fait pour moi. Alors je fais quoi ? Créer mon entreprise ?  Entrepreneur looser disait-on quand j’étais étudiante. Juste fait pour ceux qui ne sont pas capables de s’insérer dans l’entreprise. J’en serai donc, la trouille au ventre. Entrepreneur looser… ou presque. Au troisième essai débute ce qui paraît être une belle aventure. Florescens, Marketing pour votre développement durable : j’aide les petites entreprises à trouver leur place dans ce monde qui s’agrandit. Je leur mets le pied à l’étrier pour qu’elles se développent et s’approprient Internet, ce monstre digital qui les menace.

Je commence à prendre la parole timidement. Des études sur la différence entre les hommes et les femmes dans l’entrepreneuriat, la place du DD dans les entreprises.

(tournée vers DR) Dominique, tu me remarques, et tu m’invites à parler devant mes pairs entrepreneurs. 

Je travaille, beaucoup, trop mais il y a tant à faire. Sans pour autant renoncer à devenir une mère parfaite. Merci aux nounous formidables. Je découvre une solidarité et un courage chez toutes ces femmes qui se battent souvent seules pour subvenir aux besoins de leur famille, élèvent les enfants des autres et ne voient que peu les leur. Elles m’émeuvent. Et me font réfléchir. Comment faire pour qu’elles soient reconnues par la société à la hauteur de leur contribution ?

Crise de 2008, en 15 jours je perds 80% de mon chiffre d’affaires. Depuis des mois je tente d’obtenir un RV avec toi Dominique qui vient de lancer le mentorat pour entrepreneurs en France. Nous avons mis 9 mois à trouver un créneau de 30 mn. A ce moment-là, j’avais pris la décision de mettre Florescens en liquidation judiciaire. Mais la rencontre n’a pas été inutile. Tu as trouvé la personne ayant les compétences que tu cherchais pour le projet que tu avais en tête. J’ai rencontré la personne qui apportait du sens dans mon travail. Ce projet, c’est le Moovjee. Soutenir les jeunes qui ont fait le choix de l’entrepreneuriat pour prendre leur place dans la vie professionnelle. « Mon premier job ? entrepreneur ! » notre première baseline, qui résonnait alors comme une provocation. Je peux t’avouer aujourd’hui que je n’étais pas aussi convaincue que toi. Mais j’ai foncé et je te remercie de ta confiance. De ton idée, nous avons fait un projet puis une réalité qui ne cesse de grandir depuis 15 ans.

Et je pourrais m’arrêter là. Fin du chemin, j’ai trouvé une place pour déployer mes talents, nourrir mes ambitions et mes valeurs.  Et bien non. Toi que j’ai rencontré plus tard tu me l’as dit : le jour où les questions s’arrêteront c’est que tu seras morte.

Monter un nouveau projet, défricher, argumenter, convaincre, emmener avec soi c’est euphorisant. Chaque jour est une victoire. Chaque jour fait sens. Les rangs se gonflent avec toi et toi et encore toi, jeune entrepreneur, mentor, partenaire, membre du bureau, collaborateur (nous sommes 25 aujourd’hui) expert, tous heureux de contribuer à ce grand sujet d’humanité : trouver sa place et faire rayonner notre beau pays.

Merci à vous tous pour cette magnifique aventure que nous vivons ensemble.

A la maison, je raconte ce grand projet, le monde qui bouge, la jeunesse qui entreprend. Mes enfants ouvrent de grands yeux. S’ils ne comprennent pas vraiment, ils sentent que c’est important. De mon côté, je vois bien que la famille est en train de dérailler.
Je n’ai pas trouvé de solution miracle. Mon optimisme forcené cette fois, n’a pas fonctionné.

Et j’ai été fauchée. Pas comme je l’imaginais. Mon fils, qui lui avait compris que notre couple partait à la dérive, a tenté de nous lancer un avertissement. « Hey, les parents, y’a plus important que vos petites embrouilles. Regardez vos enfants, ils ont besoin de vous ! Alors moi, je vais vous faire peur et vous allez oublier vos enfantillages.» Tu le sais, ça a mal fini. Louis, ce jour-là, a stoppé son chemin. Nous laissant anéantis. C’était le 11 décembre 2011, il venait d’avoir 13 ans. Dans quelques jours, ça fera 13 ans.

L’église était pleine ce vendredi glacial, tu étais là et toi, et toi aussi, plus de 400 mains tendues pour répondre à mon appel au secours : souris-moi quand tu me croiseras, j’aurais tellement besoin de ce sourire. Tu as fait bien plus que ça. Tu m’as prise dans tes bras et tu m’as dit courage, n’abandonne pas, le monde a besoin de toi. Je serai là, à côté de toi pour adoucir ta route. Et tu as dit vrai.

« Il y a un bout du tunnel, crois-moi sur parole. » Merci Christophe. Je me suis accrochée à ces quelques mots comme une naufragée à sa bouée. « Viens quand tu veux, le jour, la nuit, quand tu en auras besoin, ma porte sera toujours ouverte » Je suis venue et tu étais là. Merci à toi qui m’a donné la parole pour partager ma souffrance, merci à toi qui m’a permis de trouver mon refuge, l’écriture, et qui soutient mon besoin de raconter pour adoucir le chemin pour les suivants. Merci mes amis, merci ma famille, merci vous tous. J’ai appris l’importance de recevoir autant que de donner.

Et mon idéal professionnel d’avant au Moovjee est devenu ma morphine, mon anesthésiant. Travailler toujours plus pour ne pas penser. Pour que chaque jeune prenne sa vie à bras le corps, trace sa route, œuvre pour un futur dont il soit fier. Quand je te vois aujourd’hui, à la tête d’une entreprise, employant plusieurs dizaines de personnes, œuvrant pour un monde plus durable, je sais que j’ai trouvé ma place.

Avant de conclure, je voudrais faire une pause pour m’adresser à mes deux filles, Sidonie et Joséphine. Pouvez-vous me rejoindre s’il vous plaît ?

Pendant toutes ses années, je me suis employée à ne pas vous faire supporter mon chagrin mais je n’ai pas pu être une maman conte de fée dont tous les enfants rêvent. J’admire votre courage et votre force dans cette tempête qui ne vous a pas épargnées. Je sais que vous avez souffert de ma tristesse, de mes absences même si j’étais présente physiquement. Je vous ai vu inquiètes surveillant chaque voile qui passait devant mes yeux. Sans vous, je ne serais sans doute pas ressorti indemne de ce cyclone. Vous êtes la clé de voûte de mon renouveau à la vie. Et j’ai une confiance absolue en vous : vous saurez pardonner mes manquements. Vous avez compris l’urgence vitale de mon engagement et la force que m’a apportée cette épreuve. Mon rêve est que cette puissance de résilience soit votre bouée. Qu’elle vous inspire et vienne consolider votre propre puissance.

Toutes les deux vous avez conscience que la vie exige de nous des efforts. Certes la beauté nous est donnée mais nous demande d’ouvrir les yeux pour l’admirer. A nous de choisir quel chemin emprunter et de se laisser surprendre par ses feux d’artifice. Libre à nous de n’entendre que des détonations assourdissantes, de nous sentir aveuglé par les flammèches ou de nous émerveiller des bouquets multicolores.

Je suis arrivée au bout de ce tunnel, de très nombreuses lumières se sont allumées tout au long du chemin pour m’encourager à accomplir ma mission refoulant ce trou noir abyssal qui menaçait de m’engloutir. L’espace qui s’ouvre devant moi est verdoyant et magnifiquement fleuri.

(tournées vers Sido et Jo) Vous êtes,

(tournée vers le public) tu es mes fleurs.

Grâce à toutes ces mains tendues au-dessus du vide, à la communion de nos différences et de nos convictions, le chaos a laissé la place au renouveau. Ensemble nous avons posé les fondations de cette entraide que nous appelons mentorat. Nous avons tissé les liens, poussé les murs, brûlé les barricades. Nous avons multiplié les chemins de la rencontre. Nous avons bâti des ponts, nourri les pousses et nous nous émerveillons aujourd’hui de leur floraison.

Nous sommes tous liés dans cet engagement pour une société apaisée où chaque individu dans son unicité trouvera sa place

(tournées vers Sido et Jo) Nous savons,

(tournée vers le public) tu sais,

Qu’un cataclysme est aussi une occasion de nous libérer de nos entraves, de nos croyances limitantes, de nos conflits de loyautés pour nous mettre au diapason de nos convictions intimes et nous laisser guider par nos valeurs.

(tournées vers Sido et Jo) Nous avons,

(tournée vers le public) tu as,

La conviction que le remède est de nous investir pour les autres sans oublier de commencer par prendre soin de soi. Car nous devons être fort pour braver les tempêtes,

Gardons intacte notre espérance dans le pouvoir du collectif à surmonter les épreuves et à trouver le bout du tunnel.

J’ai appris que chaque tunnel a pour fonction de nous conduire vers de plus beaux lendemains.

Tu sais pourquoi l’assemblée ne prie jamais pour les gens qui vont bien ? Je le sais désormais. Parce qu’ils reçoivent des médailles pour les encourager. Si tu es là, ce n’est pas par hasard. Tu as reçu en arrivant un bracelet à glisser autour de ton poignet. Ce bracelet bleu, je voudrais qu’il soit à tes yeux comme aux miens, une part de cette médaille que je partage avec toi. Toi sans qui je ne serais pas là aujourd’hui, devant toi, à ma place. Merci à toi.

A propos de l’auteur