L’inlassable ritournelle du lave-vaisselle

Parmi toutes les corvées ménagères qui reviennent sans scrupule chaque jour, ou chaque semaine tant mon aversion pour elles est grande, il y en a une qui a réussi à me séduire et que je me réjouis de répéter sans jamais me lasser. Avec un enthousiasme et une application qui frôlent la maniaquerie.

Comment rangez-vous votre vaisselle sale dans votre lave-vaisselle ? Comme ça vient pourriez-vous me répondre. Comme ça vient, oui, mais comment ? Les verres, les tasses, les bols, les mugs. Ils sont tous creux mais tous bien différents. N’ont-ils pas droit chacun à une place de choix, bien confortable, bien à leur taille ? Et les assiettes, les grandes, celles à soupe ou à dessert, les soucoupes et les plats à tartes, est-il vraiment envisageable de les déposer, les unes et les uns derrière les autres, sans avoir mûrement réfléchi à qui va avec qui ? Et les couverts, les grands, les petits, ceux qui piquent, ceux qui coupent, les manches en bois et ceux collés, allons voyons, pouvez-vous vous laisser aller à tout déposer en vrac ? Tous le même traitement ? Et quand arrivent les hors gabarits, saladiers, casseroles et cocottes, passoires et autres écumoires, fouets et moules, hachoirs et louches ou autres accessoires de service et boites de conservation, quel casse-tête, ne trouvez-vous pas ?

A chacun sa priorité et à chacun sa place. C’est ainsi que je l’ai décidé. L’hiver, la louche passe largement avant l’essoreuse à salade. Au printemps, priorité aux passoires qui voient défiler en leur sein petits pois gourmands, oignons blancs étincelants, radis roses bien frais et croquants toute un méli-mélo coloré dans nos assiettes qui dynamite nos papilles endormies. L’été, place aux bassines dans lesquelles mijotent les confitures, abricot, groseille, cassis, framboise, mure, une farandole de saveurs pour irradier les tartines du gouter dans les journées sombres et pluvieuses de l’automne. Ah, l’automne. Ses cocottes de bœuf bourguignon, choucroute, blanquette de veau qui nous donnent force et graisse pour affronter sans faiblir les froids qui nous tomberont bientôt sur les épaules. Les cocottes, vous encombrez bien le lave-vaisselle désormais !

Après ces quelques mots, qui peut encore prétendre remplir son lave-vaisselle comme ça vient ? Chaque pièce a sa juste place et chaque pièce peut toujours accepter bien volontiers de la céder pour répondre aux impératifs du moment.

En bas dans le rack au fond, bien verticales, les grandes assiettes, à partir du deuxième cran seulement. Peut-être qu’en fin de remplissage, dans un jour ou deux, la planche à découper viendra se rajouter. Ou un plat à gâteau si me prend la fantaisie de cuisiner une douce tarte à la raisinée pour la déguster avec quelques amis autour d’une tasse de thé. Et ces tasses viendront prendre la place généralement attribuée aux mugs du petit-déjeuner. Ils vont bougonner mais finiront par accepter.  Eux, ils sont à l’étage, au milieu, en file indienne, bien alignés. Toujours trop nombreux, ils finissent par boucher les trous juste avant le lancement du grand lavage. Les verres eux aussi sont à l’étage, à gauche, et au même niveau, en miroir à droite, les grands bols. Au-dessus des grands bols, les tasses à café, les coupelles et les coquetiers. Entre les mugs et les verres, les petits bols, à la verticale comme les assiettes. Ils s’encastrent parfaitement les uns dans les autres sans empêcher l’eau savonneuse de venir les pourlécher.  Idéal pour le séchage, leur base creuse ne retiendra pas l’eau qui inonderait les voisins du dessous au moment du débarrassage.

Premier étage complet. Pas tout à fait. Allongées entre deux rangées, j’installerai les grands couteaux à trancher, les louches, les écumoires et les cuillères de service. Retour au rez-de-chaussée, dans le rack du devant viennent s’installer naturellement les petites assiettes qui se serrent gentiment pour faire de la place aux petits saladiers, Tupperware® et couvercles divers. Et nous voilà sur la fin, reste à caser quelques grosses pièces. Destinées à l’étage inférieur, elles finiront parfois à l’étage supérieur. Les verres et les mugs cèderont leur confort pour finir dans l’évier. Rien de collant, les cafés se boivent sans sucre, rien de gras, il se boivent également sans lait, il sont simples à faire briller. Une simple caresse de l’éponge parfumée les remet dans le circuit. Et, entre nous, ils raffolent de cette intimité.

Tout est casé, la ménagère est satisfaite. La pastille citronnée vient s’installer dans son nid, la porte claque, les boutons « marche » puis « démarrage » enfoncés, l’eau jaillit, les pales s’élancent. Mon devoir est accompli. Une fois le cycle terminé, il ne me faudra que quelques minutes pour tout ranger. Une tâche que je préfère garder pour mon réveil, quand tous les ustensiles seront bien secs. Me baisser, faire claquer les assiettes entre elles, me relever, aller vers le placard, me baisser à nouveau, tendre le bras pour les ranger. Excellent exercice de dérouillage pour commencer la journée.

Vivement ce soir que je salisse à nouveau ma divine vaisselle et me relance dans cette ritournelle réjouissante.

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