Voyage au cœur de l’Âme

Je vis les dunes oranges et roses immobiles, l’ombre de leur masse mouvante sous la course du soleil, la poussière soulevée par le vent brouillant la droite impeccable de la ligne de crête, les vagues sèchent sur le versant des ondes de l’horizon

Je vis la fleur blanche étonnée surgie de la terre assoiffée, l’empreinte du fennec, le trou du serpent, l’arbre desséché

Je vis les yeux bleus du berbère et les femmes qui se noyèrent dans son regard, son tambour puissant sécher autour du feu et la flamme lécher le pot de terre de la harira

Je vis l’homme perdu à côté de la carcasse du Latécoère, assis, serein, méditant sur l’histoire d’un prince et d’une rose, livre fétiche enfoui dans sa poche

Je vis la lumière de l’étoile, guide dans la nuit profonde, la Voie Lactée traçant son chemin atteindre la montagne, masse sombre immobile au loin

Je vis le chamelier entouré de son troupeau seul dans l’immensité craquelée

Je vis le lac et dans ses eaux l’empreinte du dromadaire

Je vis la mer et ses vagues furieuses rejoignant le ciel dans un baiser mortel

Je vis le diplodocus et le tyrannosaure, la sauterelle et le scorpion

Je vis la faille noyer l’océan, le nouveau continent et ses habitants

Je vis la surprise et la joie, la colère et l’amour

Je vis le repas, la polychromie de l’émail des céramiques magnifier les mets chamarrés posés sur les tapis de fêtes, ta famille réunie bénir le repas et s’en régaler dans la joie, le mendiant à ta porte entrer pour prendre part au festin

Je vis les grands yeux clairs de ta bien-aimée te regarder t’éloigner, l’amour dans son cœur, le tremblement de ses lèvres du chagrin de la séparation

Je vis les rayons du soleil jouer dans la palmeraie avec le vert intense des pousses de luzerne

Je vis l’eau couler à flot dans les canaux baignant la palmeraie, les hommes grimper et atteindre la couronne du dattier et les dattes mures et fondantes déposées dans les bols

Je vis la fraicheur adoucir la vie, la chaleur réchauffer la nuit du désert, l’eau limpide rincer le nouveau-né, l’enfant courir contre le vent

Je vis le thé sucré s’écouler dans les verres, les gorges desséchées retrouver la vie, les lèvres serrées babiller et chanter

Je vis ta force rassurer les familles et apaiser les zizanies, ton regard imposer le pardon, tes mots irriguer les cœurs arides

Je vis la foule en transe implorer les nuages, les tambours résonner sous les mains des musiciens, les étoiles s’éteindre abattues par la folie des hommes

Je vis ton corps magnifique labouré par les bourreaux, ta volonté de roi résister aux tortures, la puissance de ta souffrance transcender l’obscurantisme

Je vis l’absolu éblouissant t’entourer d’un halo, te porter plus haut que la plus haute montagne, plus loin que le plus loin continent et toujours juste à la portée de ma main.

Je vis l’incandescence de ta foi faire pousser des racines aux pieds de la chaise branlante, des branches et des feuilles à ses barreaux cassés, transformer la paille de son assise en champ de blé

Je vis le paysan danser dans son champ, jouer du pipo à ses brebis pleines, dormir contre le flanc du bélier.

Je vis les femmes préparer le festin, accrocher mille tissus flamboyants aux murs de torchis, disposer en cercle les coussins brodés d’arabesques dorées, acclamer le retour du berger

Je vis le jour et la nuit, le soleil et la pluie, la récolte abondante et le champ brûlé, l’espérance et la torpeur, l’amour et la rancœur

Je vis l’invasion des moteurs, la puanteur du pétrole, la furie des ondes, le silence des cœurs, la pauvreté des âmes

Je vis le noir

Je vis la fin

Je vis demain comme hier. Aujourd’hui sans savoir quoi adviendrait quand

Je vis le bourgeon et l’homme prendre soin.

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