
Elle reçoit ce sourire complice de l’enfant dans sa poussette dans le métro bondé.
Il lui parle de sa fille et lui demande conseil ; il a besoin de son regard, elle côtoie tellement de jeunes.
Elle image une surprise pour un ami commun, elle envoie un message pour tester son idée. Elle reçoit en quelques minutes des messages de Jean, Sophie, Agnès, Paul et Lola qui embarque dans les préparatifs du cadeau.
Elle a besoin de s’évader loin du monde, de la foule bruyante, des mauvaises nouvelles qui tombent en cascade. Elle prépare son sac à dos, le minimum, pose son téléphone sur la table de la cuisine, sort, ferme la porte à clé, la glisse sous le paillasson et part. A pied. Parcourir les grands espaces de la montagne. Elle reviendra un jour prochain, se baissera. La clé sera bien là.
Une discussion banale vire au règlement de compte. Des années écoulées sereinement se transforment dans la bouche de sa fille en un chapelet de manquements, de preuves de désamour, de démonstrations d’injustice. Elle part se coucher, meurtrie. La nuit sera mauvaise, les suivantes aussi. Un jour, elle s’apaisera, elle le sait pourtant. L’indulgence et le pardon arriveront avec le passage à la vie d’adulte et de parent.
Il a peu d’amis, très peu. Il n’aime pas les gens. Uniquement trois ou quatre qu’il a choisi. Il leur a proposé un contrat : « nous pourrons tout nous dire, du plus beau au plus sombre, du plus lumineux au plus sordide. Jamais nous ne nous jugerons ni ne nous condamnerons. Ensemble, nous accepterons notre vulnérabilité. Ensemble nous nous réjouirons ». Elle a accepté et rencontre après rencontre, depuis plus de dix ans maintenant, ils partagent leur intime inavouable.
Elle aime la vie alors même que celle –ci n’est pas tendre avec elle. Elle aime son infinie diversité, elle aime les obstacles qui surgissent, elle aime ses offrandes improbables. Elle se lève chaque matin sans rien attendre. Elle se réjouit de chaque charmante surprise. Elle affronte avec détermination toutes les parois escarpées. Dans les périodes troubles elle ferme les yeux et fait revenir en elle le frisson des cadeaux qui l’ont comblée. Elle désire intensément vivre longtemps. Elle prend soin de son corps et de son cœur, elle nourrit son âme. Elle ressent intimement qu’il n’y a pas de fin dans la découverte. Elle croit que le jour du rappel sera le bon.
Il l’a trahie. Elle souffre, elle cherche, elle ne comprend pas, elle se remet en question, elle dévore toute la littérature qui lui passe sous la main qui pourrait l’aider. Elle l’aimait. Ensemble, ils ont fait tellement de belles choses. Leurs enfants sont beaux, ils les ont élevés dans l’amour et le respect. Parfois, ils ont eu des disputes, des désaccords, des oppositions. Et un jour, il a disparu, sans un mot, sans laisser une trace. Pourquoi ? C’était sa décision, il ne lui en a jamais parlé, rien laissé deviner. Elle a beaucoup pleuré, puis un jour elle s’est relevée. C’était sa liberté, elle n’a pas le droit de la lui retirer. Elle ne saura jamais pourquoi mais elle comprend que c’était la juste décision, elle l’accepte.
L’un a choisi de vivre à Bali, l’autre travaille comme une dingue. Ils n’appellent jamais. De temps en temps, elle reçoit un message. « J’arrive la semaine prochaine, lundi et mardi. Tu es disponible ? Je peux dormir chez toi ? ». Elle cuisinera son plat préféré, il lui dira qu’elle s’est trompée, comme toujours. C’est sa sœur qui aime les champignons, lui ce sont les betteraves rouges crues son péché mignon. Ce sera court, ce sera intense. Ils se serreront fort dans les bras quand il partira. Et un jour prochain, il sera là à nouveau ou ce sera sa sœur.
Vas-y, saute ! Et elle sautera.
Au milieu de l’océan. Sur un voilier. Loin des terres. A deux. Elle ne sait pas naviguer. Il a raconté pendant des heures le soleil irradiant la surface impassible des eaux tranquilles, la folie des vagues déchainées, le ballet des bancs de poissons zèbres, la grâce de la baleine qui apparait et disparait, le passage du paquebot géant qui secoue d’un rire inattendu l’immensité plate, la caresse sensuelle de l’onde sur son corps nu, le silence éclatant entre ciel et flot, le plongeon quotidien du soleil dans l’horizon, la voute étoilée comme une foule attentive et protectrice, l’amour qui explose dans son cœur lorsque la terre au loin parait. Alors elle l’a suivi.
A vous de parler ! J’ai choisi une sensation qui se retrouve dans tous ces textes courts. Pouvez-vous en commentaire me dire quelle est la sensation que vous avez ressentie ?