Randonnée syntaxique

Je partirai en écriture comme je pars en randonnée. Le point de départ est simple à trouver, le matériel léger. Une gourde remplie d’encre, des fruits secs pour tenir sur la durée comme autant de pages dans mon cahier. L’entrée en matière est abrupte, chaque bon parcours commence par un interminable dénivelé ; il chauffe les muscles comme il assouplit l’articulation du poignet. Arrivée sur un plateau inondé de soleil, bonheur d’avancer sans effort, le nez au vent cueillant au bout du stylo le coquelicot rouge puissant. Rouge qui me fera plonger dans les ténèbres noires de mes blessures profondes englouties dans des océans insondables.
Reprendre mon souffle, plonger la main dans les fruits gourmands, changement de chapitre, pénétrer dans un sous-bois, cheminer sur un sentier moussu. Doux sous le pied, ombre protectrice de la canopée, personnage tendre. Je croise un marcheur déjà sur le chemin du retour, l’orage menace, je dois accélérer mon histoire sous peine d’être contrainte de l’abandonner. Comme le lac d’altitude, l’œuvre terminée se mérite. Un seul parcours ou plusieurs départs ? Course de vitesse ou marathon ? Endurance, persévérance et un but. Jamais d’aller-retour, une boucle. Un incipit, un retour au point de départ. Epanadiplose. Entre les deux, des kilomètres comme autant de chapitres, des panoramas comme autant de rebondissements, des pauses comme autant de rencontres. Et des échappées belles au cœurs du vivant.
Chronique d’un stylo gourmet

Deux mots qui régalent alors que tout les oppose. C’est le début de la recette. Un autre s’invite, les ingrédients se complètent, la cuisinière improvise. Elle explore ses fonds de placards, reprend d’anciens écrits, fouille le frigo, sauve quelques bons mots, choisit le bon ustensile, tourne les pages du dico, pioche au hasard. Joyeux bazar ! Le saladier lui échappe des mains, le mélange se répand. C’est perdu, raté. Les flammes brulent les pages. L’écrivaine enrage.
Elle recommence. Deux mots qui régalent. Cette fois-ci exit le hasard, elle cherche, elle interroge. Quelles seraient les meilleures alliances, qui sont les incompatibles ? Que souhaite t’elle explorer ? Sucré, salé, acide, amer, doux, puissant ? Elle étale devant elle toutes les pistes, pose des options, en élimine, sélectionne un nouvel ingrédient, puis deux, puis trois en questionnant inlassablement ses choix initiaux, se replonge dans les fondamentaux, un sonnet, un alexandrin. Point de Monsieur à un avocat mais un solennel « Maitre ».
L’inventaire est terminé, les mots se mélangent, la pâte gonfle, la poésie se trace, les papilles frémissent, les larmes jaillissent.
Pour cet exercice sur l’art de la métaphore, nous nous sommes appuyés sur René Char (Les chants de la Balandrane) qui propose des images riches en métaphores et associations inattendues.