Ma table d’écriture

Une maison. Octogonale De plain-pied. Posée au milieu d’un champ. Vitrée de tous bords.

Devant la mer. Au bout de la falaise, un phare. En haut d’un escalier de 203 marches une pièce. Le gardien du phare. Il m’accueille. Si je veux. Il parle, s’il veut. Nous nous taisons le plus souvent.

Derrière la forêt. A gauche au loin un village, un petit port, un café. Des allées et venues. Au milieu de la nuit, à la lumière des lampes torches, le départ des embarcations. Le matin tôt le retour de la pêche. Le nettoyage des poissons sur la jetée. Le partage des meilleures pièces, égalitaires. Pour les restaurants, pour les poissonniers du village. En dernier pour ceux des villages de l’intérieur. Chacun sa place.

A droite, le champ de blé. Terre marron collante l’hiver, vert tendre au printemps puis qui jaunit paisiblement au fil de la saison qui avance. Les oiseaux qui tournoient. Les moissonneuses l’été, assourdissantes.

Devant la forêt, le chemin de terre se dirige vers Compostelle. Les marcheurs passent ou s’arrêtent pour remplir leur gourde. Parfois un chevreuil pointe son museau, lève la tête, observe. Puis s’échappe, comme l’assassin traqué. Jamais victime.

8 côtés. 8 baies vitrés. 8 murs pleins.

Face à chaque vitre, un canapé pour suivre la course du soleil. Une table basse, une lampe, quelques livres, un pot saturé de stylos, crayons feutres de toutes tailles et couleurs et quelques plumes, comme autrefois, un petit pot d’encre noire. Au sol, une prise électrique. Des accoudoirs en bordure de chaque canapé pour poser une tasse de café, de thé, un verre de citronnade. Chaque canapé sa texture, velours, cuir, toile, peau de bête, motif girafe plutôt que léopard. Et des coussins, beaucoup de coussins. Unis ou bariolés, figuratifs ou abstraits. Arbres, insectes oiseaux, rayures, cubes, bulles, petits soldats, enfants sur la place, canards. Au pied de chaque canapé un tapis. Ecrire au choix nu pied, en chaussette, en babouche, chaussée.

Devant chaque mur, une table, tournée vers le centre de l’espace. Devant chaque bureau, à un mètre environ, un paravent en 3 ou 5 panneaux. Lin, bambou, toile, cannage, métal. Ajourés, pleins, lumineux. Dos au mur un fauteuil ou une chaise, chinés ou achetés à prix d’or à un designer suédois dans une foire de design contemporain. Au-dessus de chaque bureau un spot, pour chaque spot un interrupteur variable sans fil. Luminosité adaptative. Là encore, un pot à crayon, des livres, un cahier. Une boite à biscuit et un dessous de verre. Chaque espace à son cahier, c’est important. Chaque espace son humeur, chaque espace sa zone de liberté. Accroché sur le mur, derrière chaque siège, une horloge, un fuseau horaire pour chacune. A tout moment il est temps de se lever, ou d’aller se coucher. Sauf une. Arrêtée. A 15h. L’heure ou la journée me parait encore infinie. Pas de calendrier. Pas de temps qui passe.

Au centre, une table pour recevoir ceux qui passent. Ronde, 12 places. Ou la place du village. J’y entends la vie, la joie la souffrance. Puis je me réfugie dans l’un de mes paysages et je raconte. Sur un clavier si l’urgence est là. Sur papier lisse et plume pour une missive emplie d’amour, dans mon cahier quand l’écureuil du matin me souffle qu’une longue histoire se trace.

Et le plus souvent, le silence. Brut. Ce silence sans lequel rien ne sort. Un silence de chants d’oiseaux, de vagues de tempêtes, de bruissement de feuilles, de champignons étonnés de découvrir soudain la lumière, d’étoiles filantes attirées par d’autres univers.