
25 Août 2042. Jour de la Saint Louis. Était-ce un signe ? Ce grand Louis si bon avec les hommes était aujourd’hui le témoin de l’immense désastre.
Le temps était passé très vite depuis cette fin d’année 2015 ou un petit groupe de chercheurs ayant participé à la COP 21 avait décidé de mener l’expérience.
Devant la surdité du monde face aux alertes des climatologues, ils avaient pris en secret la décision de créer une bulle protectrice totalement artificielle autour d’un village du sud de la France. Ce village et ses habitants avaient pour caractéristique d’être très préservés de la vie moderne. Ils avaient pleinement conscience de leur immense chance et s’appliquaient chaque jour à garder la simplicité de leur quotidien et du rythme de leur journée. Ceux qui voulaient plus ou mieux étaient libre de partir. Ceux qui y restaient étaient là par choix, mais beaucoup partaient. Et chaque année arrivaient également de nouveaux habitants, juste assez pour maintenir l’équilibre entrée sortie, et ils ne restaient que s’ils se sentaient bien. Cela faisait de cet endroit un témoin extraordinaire de la richesse de notre patrimoine, culturel, social, environnemental et même économique.
Le village était au centre de la surface protégée. La zone circulaire s’étendait dans un rayon de 50 km à la ronde autour du clocher. On y trouvait de la campagne sauvage remplie d’oiseaux, de rongeurs et fourmillant d’insectes, des terres cultivées juste de quoi vivre en autonomie, des forêts et leurs clairières aux tapis moussus, une rivière au cours tumultueux, des champs à brouter pour les troupeaux, un volcan éteint depuis bien longtemps. Le village, comme beaucoup de villages de France était un mélange de fermes, d’artisanats et de petites industries locales en lien avec l’exploitation de son milieu naturel : de la maroquinerie en peau de poissons, un fabricant de vélos en bois… bien sûr une petite activé de commerces de bouche, un café dans son jus, quelques artistes et un maître yoga. Sans oublier Monsieur le Curé. Un village comme les autres, avec ses jours heureux et ses difficultés, ses bassesses et sa générosité, ses peurs du lendemain et ses plaisirs quotidiens.
Les habitants ne furent jamais informés de l’expérience et les savants impliqués dans le projet avaient pris grand soin de mettre au point un gaz anesthésiant tous leurs désirs de voir ailleurs ainsi que leur capacité à prendre conscience de ce qui pouvaient se passer hors de la bulle. Comme si un filtre du bonheur écologique avait recouvert leurs pupilles.
Dans ce village, vous entendiez le coq chanter chaque matin et il n’y avait personne pour s’en plaindre, le fermier amenait son troupeau au champ paisiblement pendant que sa femme se cassait le dos à ramasser les haricots qu’elle éplucherait ensuite patiemment avant de les mettre en bocaux pour l’hiver, les bambins aux genoux écorchés hurlaient en courant dans les chemins caillouteux, quelques pré-ados s’acharnaient sur l’âne Martin pour le faire braire et effrayer les vieilles sur leur banc, l’ivrogne jouait tranquillement au corbeau en dénonçant l’adultère de la femme de l’aubergiste qui refusait désormais de lui faire crédit, et Jean embrassait encore et toujours Camille sous l’immense tilleul odorant. Un village bien ordinaire, dans toute sa beauté, dans toute sa faible humanité.
C’était un jour sans fin, un monde sans fin.
Ce 25 août 2042, de l’autre côté de la bulle, ce monde sans fin n’existait plus. Vraiment. Ce monde sans fin était même pas loin d’être oublié.
A l’est ce n’était que boue à perte de vue. Des déluges de pluie drues et glaciales tombaient désormais nuit et jour engloutissant toutes les constructions, faisant sortir de leur lit tous les cours d’eau, détruisant tout espoir de voir arriver à maturité la moindre culture. Tout pourrissait dans ces eaux sales et bouillonnantes. Pour se nourrir il fallait se réjouir des algues et autres plantes et bestioles aquatiques mais toujours crues. Aucun feu qui ne tienne assez longtemps pour attendrir le moindre aliment. Les hommes peu à peu perdaient toute résistance et se liquéfiaient, attendant une fin toujours plus souhaitable que leur vie.
Au nord, ce n’était que guerre. Le climat y était clément, alors les peuples se battaient incessamment pour s’octroyer ce qu’ils estimaient chacun être leur bien absolu. La lutte était telle que chacun s’attendait à tout instant à recevoir un coup de poignard dans le dos. Chaque jour un nouveau gourou tentait de prendre le pouvoir et projetait des hordes de partisans à l’assaut du héros de la veille.
Au sud, ce n’était plus que chaleur et lumière. Lumière divine, disait–on, qui vient éclairer la route des pauvres pécheurs. Et là aussi, on s’entretuait au nom des Dieux Des dieux toujours plus exigeants, jamais cléments. Des dieux qui asséchaient le cœur des hommes, le remplaçant par une pierre dure, lui retirant toute trace d’humanité.
A l’ouest pour qui aurait pu passer rapidement, c’était un paradis. Ou pas. Tout semblait encore comme avant. Bruissant de mille et une vie. Une végétation florissante, des fruits en abondance, des animaux de toutes espèces que l’on apercevait au détour des buissons. Mais très vite, on se rendait compte qu’il manquait quelque chose. Et s’il n’y prenait pas garde, l’étranger qui s’aventurait à l’ouest disparaissait après quelques pas sur le sol de cet étonnant paradis. A l’ouest, la nature et les animaux avaient repris leurs droits. Ils dévoraient tout corps étranger en quelques secondes.
Ce jour-là, le 25 août 2042, était un jour à part.
C’était l’inauguration du musée du monde d’avant. Avec d’infinies précautions, notre groupe de chercheurs avait réussi à permettre aux hommes de 2042 de revenir respirer le paradis perdu. Pour quelques centaines d’euros et s’ils avaient la patience d’attendre leur tour plusieurs année, ils pourraient traverser, en restant dans le sentier balisé, ce qui aujourd’hui ressemble à un parc d’attraction. Un village heureux, vivant comme il y a juste 25 ans.
Et la consigne était : faire vivre le lieu de la photo en y inscrivant une histoire. Quel va être le point d’entrée, d’accroche de votre récit ? « Ce jour-là..» devra figurer dans le texte – à un moment de votre choix – quels que soient l’époque, le moment, la nature de l’histoire racontée.
Atelier d’écriture du samedi matin : Au fil des mots et des couleurs