
Je me lance. C’est précisément la seule chose à faire quand on a peur d’y aller ou qu’on ne sait pas vraiment comment, justement, se lancer. Une fois qu’on est lancé l’effet d’entrainement s’alliera à la force d’inertie et plus rien ne pourra nous arrêter. C’est lancé, il ne restera plus qu’à se laisser porter.
Se lancer dans la nature à poil, tout nu comme un ver, ce n’est tout de même pas la même chose que de se lancer bien préparé. Ce qui en revanche ne changera pas, ce sont les aléas qui ne manqueront pas de surgir au fil du tracé de la trajectoire. Ou à l’arrivée. Tu te souviens de la fameuse phrase ? L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. D’autant moins difficile qu’on ne se lance pas de trop haut. Ou qu’on se lance le mieux préparé possible. Sans oublier son parachute pour amortir l’atterrissage. Mais à quoi peut bien servir un parachute si je me lance du premier étage ? Mauvaise préparation. La chute sera bien douloureuse et même peut-être fatale. Ainsi donc, plus je me lance d’une distance éloignée de mon point de chute, plus j’ai besoin de réfléchir à chaque dimension de ma préparation. Et à sa complexité technique.
Admettons que je me lance à sauter, chaussé de baskets, du rebord du trottoir vers la chaussée. Il me suffit de vérifier qu’aucun véhicule n’y passera au moment où mes pieds bien équipés heurteront le macadam. Si je suis pieds nus, je dois y ajouter la vérification de l’état du sol. Un tout petit caillou pointu aurait alors le pouvoir de changer mes semaines à venir en cauchemar surinfecté, me faisant claudiquer disgracieusement.
Si je me lance d’un avion, dans ce contexte, le parachute est obligatoire et la vérification du terrain qui accueillera mon atterrissage encore impérative. Se lancer au-dessus d’un champ de taureaux auvergnat ou au-dessus d’un volcan islandais n’est certainement pas la même sensation que de se lancer au-dessus de la Grande Anse des Salines ou de l’immensité poudreuse canadienne. Avant de se lancer donc, toujours penser à l’atterrissage.
Mais plutôt que de me lancer, pourquoi ne pas lancer mon pire ennemi dans le ring ? Dans cette version, tout dépend du ring. Ring conceptuel dans lequel je lancerai cet ennemi juré affublé de son beau costume trois pièces, sa cravate rouge Ferrari et sa dentition refaite à neuf. Ainsi paré de ses plus beaux atours, ce lancé pourrait bien finir en feu d’artifice pour lui et en crash de carrière pour moi. Encore un sujet d’atterrissage.
Et si le ring était un vrai ring, avec des gants de boxe et de vraies cordes ? Lancer mon adversaire dans l’enceinte nécessite que j’anticipe un peu mon geste en commençant par prendre un abonnement à la salle de musculation la plus proche pour parfaire mon beachbody. Un lancé d’adversaire dans l’arène, vous vous rendez compte ? Il s’agirait pour commencer de le mettre KO pour le ceinturer, puis de le soulever et enfin de le projeter suffisamment haut et loin pour qu’il passe, sans le toucher, au-dessus du public en délire, dépasse le cordage et s’écrase au milieu de l’enceinte réglementaire. Beau lancé diraient les plus connaisseurs. Mais cessons de rêver, tout ceci me parait bien compliqué.
Et si je lançais un nouveau produit plutôt ? Aucune nécessité de me muscler, juste d’affûter légèrement mes neurones, poser deux ou trois questions au fameux « marché » et le tour est joué. Je me lance, j’invente le dernier produit miracle, je le fais fabriquer, en France bien sûr et très respectueux de l’environnement, et j’ajoute quelques millions pour le lancer à grands renforts de publicité. Me voilà un champion avec rien de plus que deux ou trois idées. Zut, retournement de marché, c’est le flop, je prends un bouillon. Comment pourrai-je me lancer à nouveau sur le marché du travail avec de telles casseroles derrière moi ? Pas si facile finalement d’innover.
Heureusement, la mémoire collective est bien courte, c’est le bon moment pour moi de me lancer en politique. Il parait qu’on cherche des volontaires. J’ai suffisamment bourlingué pour imaginer réussir en me lançant en ce moment. Une belle connaissance de l’évaluation des risques, une exploration de tous les modèles de parachutes, la faculté de poser des questions et de faire porter le chapeau à ceux qui donnent les réponses et une résistance à toute épreuve aux virements de bord. Et quoi de mieux que de se lancer en politique pour faire oublier son passé puis de nouveau se lancer en affaires ? Je pourrai peaufiner mon vocabulaire et mes argumentaires en lançant quelques piques bien senties à mes nouveaux coreligionnaires, de quoi lancer des débats et faire tomber aux oubliettes mes déboires.
Ça me fait penser qu’il y a des années, dans mon short d’ado, je lançais le javelot. J’avais failli tuer mon prof de gym. Depuis, je ne lançais plus que des fléchettes. Mais toujours avec la photo du prof de gym placardée au cœur de la cible. Cœur que j’ai toujours raté. Son beau visage pâle est toujours vierge du moindre planté.
Comme quoi, je devrais sans doute y réfléchir. Lancer n’est peut-être pas le bon verbe pour moi. Ou peut-être n’ai-je pas trouvé encore le lancement approprié ? Je n’ai encore jamais lancé de poids, ni même de caillou dans la rivière pour la faire déborder pas plus que de tong au grand concours international de Hourtin. Ce serait sans doute plus inoffensif. Je pourrais également me lancer dans une infinie sieste. Sans danger pour personne sauf pour mon canapé que mon incontinence menacerait de saloper.
Ah, je crois que j’ai trouvé. Je vais plutôt lancer une mode. Je me décrète influenceur et je lance la mode du python-écharpe. Un tout nouvel accessoire naturel. C’est un python que tu mets autour de ton cou pour te tenir chaud en hiver. Garanti sans souffrance animale.
Ding Dong.
– Oui ?
– C’est vous qui avez lancé la mode du python-écharpe ?
– Oui c’est bien moi. Trop la classe non ?
– Monsieur, au nom de la loi je vous arrête pour meurtre par imbécilité patentée.
– Mais n’importe quoi vous ! Décidément il va falloir que je me lance dans le droit pour porter la robe d’avocat puis je serai lanceur d’alerte pour éviter toutes ces scandaleuses erreurs judiciaires.
(Si jamais vous n’avez pas deviné, la consigne était de choisir un verbe et de l’étirer dans tous ses sens et toutes ses formes !)
Un commentaire sur “Se lancer. Et si c’était maintenant ?”
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